Au petit matin, après une nuit mouvementée et passablement enfumée avec des amis au fond d’une ruelle, Simon constata qu’il avait égaré son cell. Malgré ses efforts, il n’avait pu le retrouver. Ça l’embêtait beaucoup. Il se sentait démuni, amputé d’une partie essentielle à sa vie. Il avait prévu appeler son frère pour qu’il vienne le chercher, mais là, pas moyen de le joindre.
Il erra donc dans les rues de la ville à la recherche d’une boîte téléphonique, mais elles étaient toutes soit hors-service, soit vandalisées. Finalement, il tomba sur une boîte téléphonique rouge située à l’angle d’une petite rue. Il s’approcha de la boîte et inséra une pièce de monnaie. Il composa le numéro de son frère en croisant les doigts pour qu’il réponde, mais manque de chance, une réponse automatisé lui répondit. Simon laissa un message, disant qu’il avait besoin d’aide et qu’il attendrait à la boîte téléphonique. Il s’assit sur le trottoir à côté de la boîte téléphonique, attendant son frère. Les minutes passèrent au compte-goutte alors qu’il sentait monter en lui un sentiment d’abandon et l’impression de manquer quelque chose d’important, coupé qu’il était de son monde virtuel.
Mais alors qu’il était assis là, il commença à regarder autour de lui et remarqua des choses qu’il n’aurait jamais remarquées s’il avait été en train de texter sur son cell. Il vit un vieil homme nourrissant des pigeons qui s’agglutinaient à ses pieds, une petite fille qui dansait dans la rue sous le regard amusé de sa mère juste à côté, un couple âgé se tenant la main en marchant, en un mélange d’amour et de protection l’un et l’autre contre les chutes potentielles. Un autre couple, début trentaine, joggait harmonieusement au même rythme, souriant en jasant de je-ne-sais-quoi. Il réalisa alors qu’il y avait une beauté dans la vie qui lui avait échappée, tellement il était absorbé par la technologie et sa présence virtuelle.
Finalement, son frère arriva et le ramena à la maison. Simon se promit qu’il ferait un effort pour être plus présent dans sa propre vie et dans celle des autres.
Depuis ce jour, chaque fois que Simon passe devant cette boîte téléphonique, il sourit en se rappelant cette expérience et la leçon qu’il a apprise. La boîte téléphonique est devenue pour lui un symbole de la nécessité de débrancher et de se connecter à la vie réelle.
— Fermez les yeux. Imaginez-vous maintenant dans un endroit paisible, réconfortant, sécuritaire. Visualisez le décor chaleureux et agréable autour de vous. Prenez votre temps, vous avez touuuuut votre temps. Ressentez cette paix intérieure qui s’installe en vous, l’absence de tension, la circulation fluide du sang chaud qui se propage doucement dans vos membres légèrement engourdis. Vous êtes commmmmplètement détendues. Prenez conscience de votre cœur qui bat lennnnntement, régulièrement, au ralenti. Écoutez votre respiration lente et profonde. Sentez vos pieds en contact avec le sol, ressentez cette énergie qui circule librement à travers vous, qui va et vient et qui vous connecte à l’univers. Vous êtes à votre place, là maintenant, là où vous devez être, vous êtes bien, en parfait contrôle. Vous êtes en totale harmonie avec tout ce qui vous entoure. Savourez cet instant, abandonnez-vous à ce merveilleux moment, hors du temps.
Juliette était maintenant dans un état second, confortablement assise dans son fauteuil, les mains posées mollement sur ses cuisses, la tête légèrement inclinée. Le Dr. Wilfritch, installé devant elle, dirigeait cette session d’hypnose hebdomadaire comme il le faisait maintenant depuis six semaines. Depuis l’agression.
Victime d’une attaque gratuite qui s’était déroulée à quelques pas de chez elle, juste devant la boutique de chapeaux, Juliette arrivait difficilement à trouver le sommeil depuis. Elle vivait constamment dans un état d’hyper-vigilance et même la nuit, au moindre bruit, au moindre craquement, elle ouvrait instantanément les yeux, le coeur battant la chamade, craignant qu’un intrus ne se soit introduit chez elle et ne veuille l’agresser. Encore. Les portes étaient pourtant verrouillées à double-tour, les fenêtres également. Les rideaux étaient tirés en permanence pour ne laisser personne soupçonner qu’elle vivait seule chez elle. Malgré tout, cette peur ne la quittait pas, comme les séquelles d’un choc post-traumatique. Seules ces séances d’hypnose lui donnaient un instant de répit, où elle pouvait retrouver la quiétude qui l’habitait autrefois. Ça lui paraissait si loin maintenant.
— De votre main gauche, vous allez maintenant appuyer doucement sur le muscle situé entre l’index et le pouce de votre main droite. Voilà, comme ça. À chaque fois que vous appuierez à cet endroit précis plus de 2 secondes, vous vous retrouverez instantanément dans cet état de calme où vous vous trouvez maintenant, en parfait contrôle de vos émotions. Le temps se déroulera alors plus lentement pour vous, à un rythme où vous aurez tout le temps voulu pour évaluer calmement la situation et déterminer l’action à prendre, le meilleur geste à poser à ce moment précis, celui qui vous sera le plus profitable. Voilà, vous pouvez relâcher votre main. Juliette, vous allez maintenant ouvrir les yeux et vous sentir parfaitement reposée et prête à affronter n’importe quel défi, parce que vous en êtes pleinement capable.
Juliette ouvrit les yeux et pour la première fois depuis l’agression, ressentit une nouvelle force en elle, comme une confiance inébranlable en ses moyens.
— J’ai installé ce qu’on appelle un ancrage dans votre subconscient, lui dit le Dr. Wilfritch. J’ai senti que vous étiez prête à le recevoir et à l’utiliser à bon escient. Voyez-le un peu comme un super-pouvoir que vous pourrez maintenant utiliser en toutes circonstances. Compte tenu de votre grande réceptivité, je ne crois pas qu’on doive se revoir pour une autre séance, mais j’aimerais que vous en faisiez l’expérience au cours des prochains jours et que vous m’en fassiez part. Donc, à moins d’avis contraire, aujourd’hui sera notre dernière session. Vous pourrez régler la note avec ma secrétaire à la réception. Je vous souhaite de retrouver votre quiétude d’antan Juliette.
— Ah, merci, tellement merci Docteur. Grâce à vous, je me sens renaître et même en mieux avec ces outils que vous m’avez donnés.
— Tout était déjà en vous Juliette. Dites vous que des tas de gens vivent quotidiennement dans la peur, la peur qu’un événement malheureux ne survienne et ne vienne bousculer leur quotidien. Ils dépensent d’énorme quantité énergie à imaginer toutes sortes de scénarios plus apocalyptiques les uns que les autres et à chercher à l’avance des façons d’y faire face, alors qu’on a tous en nous les ressources et une force vitale qui nous permet d’affronter ces défis quotidiens. Il suffit d’avoir confiance en ses capacités. Il suffit d’en être convaincu et le mécanisme se met en place. Cet ancrage que je vous ai implanté aujourd’hui permet ainsi d’ouvrir un passage vers votre subconscient qui ne sera plus brouillé par les filtres sociaux ou les réflexes hérités de situations émotives antérieures qui viennent quotidiennement teinter nos comportements. Faites en bon usage. Au revoir Juliette.
Juliette quitta donc le cabinet du Dr. Wilfritch, sourire aux lèvres, avec une confiance nouvelle et la ferme intention de retrouver son agresseur et lui faire la peau.
Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra K., En s’inspirant d’une photo d’Alexandra Koszelyk, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.
Alexandra Koszelyk
Dans les bureaux de Plaxelys, au 19ième étage du 1500 Boulevard Maisonneuve, Alfred Lumière s’agitait sur son siège devant le comité d’évaluation des innovations, pour les convaincre de financer son nouveau projet.
— Pour le dire simplement, nous vivons tous dans le présent, en percevant des informations passées qu’on interprète pour anticiper le futur.
— Vous trouvez ça simple comme explication vous? retorqua la Vice-présidente Science et technologie, un sourire aux lèvres, avec une soudaine impression de perdre son temps.
— Bien sûr. Réfléchissez. Dans notre univers, le temps et la lumière sont intimement liés. Einstein l’a d’ailleurs démontré clairement. Ce qu’on voit ici, maintenant, est en fait une interprétation de notre cerveau découlant des informations reçues du nerf optique, lequel a été frappé par une série de particules lumineuses provenant de la scène qui se déroulAIT devant nous. Entre l’émission des particules lumineuses et l’interprétation du cerveau, il s’est écoulé entre 80 et 100 millisecondes. Ce que l’on voit est donc systématiquement une image du passé, de quelques millisecondes, j’en conviens, mais tout de même du passé. Vous me suivez?
— Je veux bien, mais encore.
— Je vous propose ici un prototype permettant de voir encore plus loin dans le passé, aussi loin qu’on le souhaite. Une machine à reculer dans le temps. Une machine qui permet de revoir n’importe quelle scène passée comme si on y était. Pensez un peu aux retombées pour l’humanité toute entière. C’est gigantesque! Au niveau légal, par exemple, aucune preuve, aucun témoignage ne pourrait devenir contestable, puisqu’on pourrait présenter la réalité passée tel un fait vérifiable. Plus de mensonges ou de cachettes de la part des Gouvernements, entreprises ou individus, on devrait vivre en totale transparence, en totale vérité. Au niveau historique, on pourrait revoir et étudier en détail les événements passés, mieux comprendre les Grands personnages ayant marqué notre histoire. Au niveau familial ou personnel, on pourrait revisiter à loisir n’importe quel moment de sa vie, revoir tout ceux qui nous tiennent à cœur et qui sont décédés, par simple nostalgie ou pour mieux les comprendre. Comprenez-vous l’ampleur de ce que je vous dis?
— Et vous êtes arrivés à faire ça, vous? lança sceptique, la Vice-Présidente.
— Oui, tout à fait. Si vous voulez, je vous fais une démonstration. Accompagnez-moi dans mon laboratoire et je vous le ferai vivre par vous-même. Incertaine à savoir si elle avait devant elle un fou ou un génie (peut-être les deux), La Vice-Présidente accepta l’offre, mais à condition d’être accompagnée d’un comité de son choix (et de deux gardes du corps), même si elle garda cette dernière pensée juste pour elle. Ils se donnèrent rendez-vous pour le lendemain à l’adresse indiquée par Alfred.
Le comité se présenta le lendemain devant une vieille maison passablement délabrée. On aurait cru être à la mauvaise adresse, si ce n’était d’une large inscription peinte au mur du garage à l’arrière qui annonçait: « Modern’ Cinema » qui cadrait tout de même avec le thème. Devant l’état de la demeure, la Vice-Présidente laissa tout de même échapper un long soupir, déjà gênée à l’idée qu’on la taquine à répétition par la suite pour s’être laissée embarquer dans cette histoire par un hurluberlu.
— Attendez-nous ici, dit-elle au comité. J’irai seule avec Antoine. À la carrure d’Antoine, on devinait son rôle. Ils montèrent les marches pour atteindre la petite pièce au dessus du garage et elle frappa. Une fois. Deux fois.
— Monsieur Lumière, vous-êtes là?
Toujours sans réponse, elle tourna la poignée. La porte n’était pas verrouillée.
— Entrez d’abord svp Antoine, mais soyez sur vos gardes. Je vous suis.
À l’intérieur, tout avait été saccagé. Les meubles étaient renversés, les tiroirs avaient été vidés de leur contenu. Des traces au sol, laissaient penser qu’on avait retiré de gros appareils. Un peu plus loin, le corps d’Alfred Lumière gisait par terre entouré d’une large flaque de sang. De toute évidence, on l’avait assassiné. Signalant le 911, Antoine dit de ne pas s’inquiéter, qu’il se chargerait de tout pour la suite des événements. La Vice-Présidente, choquée et bouleversée, retourna au bureau.
Attendant l’arrivée des forces policières, Antoine sorti un second cellulaire de sa poche et appuya sur la seule touche de l’appareil.
— Tout est sous contrôle Monsieur, dit Antoine. Les choses se déroulent comme prévues.
Surpris, Paul s’arrêta brusquement sous le lampadaire de la ruelle mal éclairée. Son ombre avait disparue. Ben voyons, se dit-il, c’est fou quand même, pourquoi mon corps ne fait-il pas obstruction à la lumière du lampadaire? il eut beau se déplacer à gauche à droite, regarder la lumière puis le sol, il ne voyait tout simplement pas son ombre. C’est donc ben étrange se dit-il…Il reprit sa marche nocturne et revint chez lui en se questionnant.
Paul était du type introverti. Depuis l’enfance. C’est fréquent chez le deuxième enfant d’une fratrie. Son frère aîné avait bénéficié des privilèges du premier enfant, celui qu’on désire, qu’on attend, celui qui transforme le couple en famille. Paul, lui, était arrivé onze mois plus tard. Trop tôt. Ses parents étaient fatigués et encore en adaptation de sorte que l’accueil avait été beaucoup moins festif, c’est le moins qu’on puisse dire. Même si un bébé ne met pas de mots sur ce malaise, il le ressent dans son corps et ça sculpte sa personnalité. Très tôt, il comprit donc qu’il valait mieux ne pas être trop demandant, rester silencieux, ne pas déranger. Quand sa petite sœur était arrivée, trois ans plus tard, ses parents y étaient mieux préparés et heureux de l’accueillir. Les parents aiment avoir des enfants des deux sexes. Une sorte de mission accomplie. Il y avait donc l’aîné, la benjamine et lui le cadet comme dans l’expression « C’est le cadet de mes soucis ».
Alors que ses frère et sœur parlaient haut et fort, se chicanaient souvent et recherchaient l’attention des parents, Paul préférait le silence, le calme, ne pas faire de vague, s’organiser seul sans avoir besoin de personne. Ce n’était pas toujours facile, mais il y parvenait assez bien, quitte à sacrifier certains aspects de sa vie où une collaboration externe aurait été la bienvenue. Il se plaisait à passer inaperçu. Son choix de vêtement, sa démarche, le ton de sa voix, l’économie de mot, son comportement en général n’attirait jamais les regards, il se fondait dans l’environnement, ni vu ni connu et ça lui plaisait bien ainsi d’être invisible aux regards et pensées des gens.
En entrant chez lui, il jeta un coup d’œil dans le miroir de l’entrée et ne vit que le mur derrière. Sous le choc, il regarda à nouveau, en se plaçant bien au milieu devant le miroir sans plus de succès. Son cœur s’affola. Impossible, se dit-il, mais qu’est-ce qui m’arrive?
Une voix qu’il reconnaissait surgit alors d’on se sait où autour de lui.
-Ça va aller, Paul, tout va bien se passer. Calme-toi. Une voiture t’a renversé tout à l’heure.
Son grand-père, décédé l’année dernière était là derrière lui, translucide, comme éclairé de l’intérieur.
-Viens Paul, dit-il, il y a des tas de gens qui souhaitent te revoir dans toute ta lumière.
– C’est ici que tout a commencé pour lui, dit le professeur, vous le verrez dans les prochaines minutes. Comme je vous disais dans le cours d’hier, tous les comportements excessifs ont un événement fondateur qu’on appelle le point de bascule. Plus l’événement est marquant pour l’égo, plus l’individu aura par la suite une énergie compensatoire amenant un changement profond de sa personnalité. Déplacez-vous à l’intérieur du Bistro à 19h58 et vous comprendrez.
Les élèves réglèrent leur Chrono-viaticum tel qu’indiqué par leur professeur et se retrouvèrent à l’intérieur à l’heure indiquée. Le bistro était bondé. Les conversations s’empilaient les unes sur les autres sans qu’on distingue clairement un dialogue, des mots lancés au hasard comme des flocons tourbillonnant en tous sens lors d’une tempête. Un jeune homme, 17 ans à peine portait un lourd cabaret contenant deux pichets de bière et 6 bocks embués par le froid. Alors qu’il se déplaçait difficilement entre les banquettes, un grand roux, fin trentaine, qui semblait déjà passablement éméché donna du coude à son compagnon en lui murmurant un truc et tendit la jambe dans l’allée, juste au moment où passait le jeune homme.
– Regardez bien la suite, dit le professeur, c’est là que tout se joue.
Le jeune homme trébucha et s’étala de tout son long, renversa son cabaret en éclaboussant plusieurs clients qui se retournèrent, à la fois surpris et choqués de voir leurs vêtements souillés. À la banquette du grand roux, on rigolait devant le spectacle en se cachant la bouche. Les voix se turent soudainement et les regards se retournèrent, chacun voulant comprendre d’où venait ce bruit de chute. Les voix reprirent ensuite progressivement en force, chacun commentant l’incident selon sa propre interprétation. Le jeune homme se releva. Sa main était ensanglantée, coupée par l’un des bocks qui s’était fracassé en tombant au sol. Déstabilisé, confus, il mit quelques minutes à retrouver ses esprits et s’excusant sans oser lever le regard, il mit un genou à terre et ramassa le verre brisé pour les déposer dans son cabaret, tandis que le sang continuait de couler sur sa manche. Ouvrant la porte des cuisines avec force, le patron arriva en trombe, s’excusant au passage auprès de la clientèle, et ordonnant fermement au jeune homme d’aller immédiatement derrière aux cuisines, qu’il s’occuperait de tout. Il tenta de rassurer les clients, disant haut et fort que tout était sous contrôle, que l’incident était clos et qu’il pouvait maintenant reprendre leurs festivités. Il assumait la responsabilité de l’incident, reconnaissait ouvertement que son jeune serveur avait peu d’expérience et il offrit la consommation gratuite à ceux qui avaient été éclaboussés. Certains clients applaudirent avec cynisme et reprirent peu à peu leurs conversations. On fit venir un autre serveur avec une serpillère et des chiffons pour réparer les dégâts. Quand l’atmosphère se calma, le patron retourna derrière en s’essuyant les mains sur son tablier.
– Déplacez-vous maintenant à la cuisine, dit le professeur.
Maintenant rouge d’un mélange de colère et de honte, le patron du bistrot agrippa le jeune homme, dont la main était enrubannée d’un chiffon.
– Mais qu’est-ce qui t’a pris, bon Dieu. Tu pouvais pas regarder où tu marches. Est-ce que tu réalises l’impact d’un tel incident sur mon bistrot? En plus du matériel que tu as brisé par ton incompétence, certains clients auraient pu être blessés sérieusement. J’aurais dû suivre mon intuition quand tu es venu me voir pour le job. Tu n’es vraiment pas fait pour ce travail, désolé. Rentres chez toi et ne remet plus les pieds ici.
– Mais…c’était un accident. Il y avait tellement de gens dans l’allée, ce n’était pas facile de circuler.
– Voilà, exactement pourquoi je dis que tu n’es pas fait pour ce travail. Allez, ouste, dégage!
Penaud, le jeune homme pris son manteau et sorti par la porte arrière.
– Alors, vous en pensez quoi, demanda le professeur?
– C’est vraiment injuste, dit une jeune fille. Ce n’était pas sa faute. Nous, n’aurait-on pas pu intervenir?
– Non, impossible, dit le professeur. Rappelez-vous, nous ne sommes pas là. On assiste simplement à une scène qui s’est déroulée il y a maintenant quarante-trois ans. On ne peut refaire le passé. Heureusement d’ailleurs, parce que le présent serait bien trop incertain.
– Qu’est-ce qui arrive au jeune homme par la suite?
– Ah voilà la vraie question. Ce jeune homme, c’est Émile Lampron, le tueur en série des années 80′ qu’on surnommait le « tueur au bock », parce qu’après avoir tué ses victimes, il laissait un bock à proximité du cadavre. Il a ainsi tué plus de 18 personnes avant d’être rattrapé par la justice. Ses crimes ont débuté 8 mois après l’incident auquel vous venez d’assister. Les psychiatres s’entendent maintenant pour dire que c’est ce soir-là que Lampron a franchit le point de bascule, animé par un fort sentiment d’injustice. 18 personnes sont décédées par sa main, des familles entières ont été marquées et chez certaines d’entre elles dont nous discuterons au prochain cours, il y a eu d’autres événements fondateur. Des questions?
– Qu’est-ce qui aurait fallu faire pour éviter tout ce drame et ses conséquences, demanda la jeune fille?
– De l’empathie, davantage de bienveillance, éviter de juger trop rapidement, voilà ce que je souhaite que vous reteniez de ce cours aujourd’hui. Mettez-le en pratique dans vos vies personnelles. Vous ne saurez pas toujours la différence que vous aurez faite, mais je vous assure que le monde s’en portera mieux. Bon, d’accord. Allez, on se revoit demain les enfants.
– En effet. As-tu vu les rabais cette semaine? Les fraises sont vraiment pas chères. Ça vaut la peine d’en faire une petite provision en vue de la St-Valentin.
– J’y penserai, mais tu sais moi, la St-Valentin…
– Ça reste un beau moment quand tu as un amoureux. Tu en as un en ce moment?
– Non, le travail et la famille tu sais…J’ai pas tellement de temps à consacrer à ça.
– Oui, je comprends. Je me trouve chanceuse d’avoir trouvé Georges. Il est si doux et pas jaloux du tout. C’est quand même rare de nos jours.
– Qui sait. Peut-être un jour, quand les enfants auront un peu grandit ou si le père revient.
– Il est où le père?
– Il est parti au front, plus à l’Est. J’ai pas eu de nouvelles depuis des mois. Je ne pense pas qu’il revienne.
– C’est triste…J’aime beaucoup tes boucles d’oreille. Tu les as pris où?
– C’est un client qui me les a offertes. Elles étaient à sa femme, avant qu’elle ne meure dans l’explosion de son logement l’été dernier.
– Elles te vont vraiment bien.
– Merci. Tu faisais quoi avant?
– Institutrice, mais on a fermé l’école. Les enfants n’ont plus tellement la tête à apprendre des trucs qui serviront plus tard. Le maniement des armes les intéresse davantage.
– Oui, je sais. C’est normal. Moi, avant j’étais coiffeuse.
– Ah. Tu pourrais me refaire une teinture. J’ai plus de cheveux blanc, je trouve.
– Oui, bien sûr. Il doit me rester quelques tubes de couleur. Tu voudrais quoi?
– Brun naturel, si tu en as encore, sinon auburn ferait l’affaire.
– D’accord, je vérifierai. Bon, je dois y aller, un client m’attend.
Dans une ville éloignée de tout au sud-Ouest de la Finlande, un phénomène étrange se manifeste à tous les ans dans la nuit du 8 au 9 juin. Cette nuit-là, tous les arbres et les plantes de la ville deviennent lumineux d’une douce lueur verte. Les habitants de la ville attendent cette nuit avec impatience, car c’est un moment privilégié où ils peuvent sortir et admirer la beauté de leur environnement. Les villageois marchent en souriant sans se presser dans les rues de la ville, admirant les arbres qui scintillent. D’autres, encore, assis sur les pelouses, regardent les plantes tout en discutant entre eux. Des enfants courent et jouent sous les arbres illuminés. Cette nuit-là, les esprits sont paisibles, l’envie ou la haine n’existent plus dans le cœur des villageois. Ils se sentent en parfaite harmonie avec ce qui les entoure, comme si tout ce qui vit fait dorénavant partie d’une seule et même entité et on ne se fait pas la guerre à soi-même. C’est la Nuit Verte.
– Heu, je dirais pas ça. Regarde les murs, le plafond.
– Tu te souviens quand on s’est rencontré?
– Oui, haha, tu étais dans un sale état, après avoir passé la journée aux champs…
– En effet, hihi et je ne devais pas sentir la rose.
– Tout à fait vrai. Pourtant ton sourire et tes yeux pétillants m’avaient immédiatement conquis. C’est peut-être ça, le coup de foudre. Quand on tombe instantanément en amour.
– Oui, je le pense aussi. C’est ce que je ressens ici, malgré l’état du logement. Il y a eu beaucoup d’amour ici, des rires, des câlins, de la musique des chants. Ça transpire à travers les murs défraichis. On va lui refaire une beauté à ce logement, tu verras.
– Tu as bien raison ma chérie. Ne nous laissons pas tromper par les apparences.