Atelier d’écriture: Une photo quelques mots
Principe: Une photo qui sert de base pour un texte. Ni genre, ni ton imposés. Seul le plaisir d’écrire. Encore et toujours.
Site: Bricabook
Depuis son tout jeune âge, Sylvius aimait dessiner des formes sur le sable. À l’adolescence, son style s’était déjà considérablement enrichi et il érigeait alors sur la plage, face à la villa familiale, des sculptures de sable étonnantes, complexes, magnifiques. Ces formes éphémères, mi-homme, mi-dieu, n’existaient que quelques heures, le temps que la mer, n’étire les bras pour encaisser son offrande.
Sylvius suivait toujours un même rituel, amassant d’abord un énorme monticule de sable humide, devant lequel il s’accroupissait, les mains au sol, en silence, pour méditer, pendant de longues minutes. Par moment, il se levait brusquement, l’esprit tourmenté et marchait d’un pas vif autour de la butte, sans la quitter des yeux, comme un prédateur cernant sa proie et cherchant l’angle d’attaque. Il se rassoyait ensuite sur ses talons, nerveux, concentré, clignant des yeux frénétiquement sous l’effet de son cerveau en ébullition. Il attendait.
Il attendait encore et encore, que se concrétise l’instant magique, que jaillisse l’étincelle dans son esprit qui projetterait sa pensée dans la matière, faisant naître une nouveau personnage inerte, figé et dissimulé sous la dune. Dès l’instant d’illumination, il se mettait fiévreusement à l’ouvrage, avec l’intensité et l’impatience de l’artiste, creusant violemment à pleine main ou découpant finement du bout du doigt, prenant peu à peu possession de sa proie, retirant l’excédent, libérant le personnage enfoui, concrétisant cette image ayant pris naissance dans son esprit et s’étant transposée à la matière. Il se tenait ensuite debout face à sa création en silence, sale et fatigué, mesurant l’oeuvre qu’il venait d’expulser, puis, satisfait, revenait à la maison sans un regard derrière. Il se sentait libre. Libéré.
Sa renommée s’était fait grandissante avec les années. Souvent, une foule se massait sur la plage, à marée basse, espérant voir Sylvius créer une nouvelle sculpture de sable. Un jour, un long convoi de légionnaires arriva à la villa. L’empereur Marcellus, en personne, était venu voir ces œuvres créées par le jeune artiste qui faisait parler de lui jusqu’à Rome. Il n’y avait cependant rien à voir, puisque chacune d’entre elles avait depuis longtemps, été ravalée par la mer. L’empereur, un peu déçu, lui confia malgré tout la mission de créer un sculpture de sa personne, qui traverserait les siècles, qui témoignerait de sa grandeur et de sa puissance aux générations suivantes. Sylvius hésita, puisque son art, c’était essentiellement le sable, naturellement éphémère, mais on ne dit pas non à l’empereur au risque d’y laisser sa tête, alors, il se montra honoré. Inquiet, mais honoré.
Dans les jours qui suivirent, il se rendit à Rome et fut autorisé à se tenir dans l’entourage de l’empereur. Durant des jours, il l’observa attentivement, s’imprégnant de sa démarche, de son attitude, s’attardant au moindre détail, à la forme de son visage, de ses oreilles, de ses bras élancés et solides, habitués à manier le glaive. Il le vit, dicter, décider avec conviction, s’enflammer devant l’incompétence des uns ou des autres et se montrer tourmenté pour l’avenir de la cité, de Rome, de son empire. Il l’étudia si bien, que le soir venu, seul dans sa chambre, il pouvait mentalement devenir Marcellus lui-même, comme s’il lui avait volé une partie de son âme.
Parallèlement, le forgeron de l’empereur, lui expliqua comment faire une sculpture de bronze qui traverserait les âges. Il suffit, lui dit-il, de sculpter d’abord l’original dans la cire et de le recouvrir ensuite d’un mélange d’argile avant de le mettre au four. Une fois cuite, la cire aura fondu, laissant un moule creux dans lequel on versera le bronze en fusion. Il ne resterait plus, une fois le moule refroidi, qu’à briser la terre cuite pour révéler l’oeuvre finale.
En suivant cette méthode, Sylvius, artiste de l’éphémère, créa ce magnifique bronze de Marcellus qui a non seulement traversé les siècles, mais aussi les millénaires. Le bronze est exposé au palais impérial de Rome, au centre du Palatin au au pied des sept collines.