Archives de la catégorie ‘Société’

Bouclier de lumière

Publié: 22 avril, 2024 dans Bonheur, Société
Tags:,

J’ai l’habitude de faire de tour de tous les médias d’information tôt le matin. C’est une habitude qui date de très longtemps et qui me donne l’impression de savoir ce qui se passe sur la planète. De façon générale, savoir me rassure, dans la mesure où je peux établir une certaine crédibilité à un fait, en vérifiant les sources, un peu à la façon d’un journaliste amateur.

Pourtant, ce matin, en faisant le décomptes des bonnes et des moins bonnes nouvelles, j’ai eu un gros soupir. C’était un peu déprimant et je me suis demandé si ça valait autant la peine, de lire ainsi toutes ces nouvelles pas si positives. On dirait que pour les médias en général, les mauvaises nouvelles font meilleures presses que les bonnes. Ou alors, c’est que les choses vont vraiment mal, mais bon.

J’ai donc décidé de me construire un bouclier de lumière que je pourrai dresser devant moi au besoin et sur lequel rebondiront toutes les mauvaises nouvelles, mais qui laissera filtrer les bonnes nouvelles.

Je vais le mettre à l’épreuve aujourd’hui!

Sasha 1er

Publié: 10 février, 2024 dans Écriture, Société
Tags:

Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra K, en s’inspirant d’une photo, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

@AK

Sasha était née en 1901 à Trnava en Slovaquie, une petite communauté très religieuse à 43 km au nord-est de Bratislava, la capitale. On surnommait cette ville « la Rome de la Slovaquie », notamment pour ses nombreuses églises à l’intérieur baroque.

Très tôt, Sasha avait senti l’appel de Dieu et priait avec ferveur plusieurs fois par jour pour le bien-être de tout ceux qu’elle connaissait et même pour ceux qu’elle ne connaissait pas. Les sermons du Curé l’impressionnaient particulièrement et parfois, seule dans sa chambre, elle s’imaginait guider les paroissiens de son village par ses paroles et sa profonde compréhension du message du Christ. On lui fit rapidement comprendre que ce rôle était réservé aux hommes, ce qui la déçue énormément, parce que, sans le dévoiler, elle s’était toujours sentie comme un garçon dans un corps de fille et bien qu’elle se conformait au code vestimentaire imposé par sa mère, elle aurait de beaucoup préféré porter le pantalon. Plus tard, au début de l’adolescence, n’arrivant pas à s’imaginer vivre maritalement, elle s’enrôla chez les Religieuses, à la grande joie de ses parents.

Quand la Slovaquie et la Tchéquie unirent leur destin en 1918, alors que tout séparait ces deux communautés, culturellement et politiquement, Sasha fit le parallèle avec son déchirement intérieur, soit être une seule entité, à la fois garçon dans sa tête et fille dans son corps. À 28 ans, mal dans sa peau et dans sa tête, elle quitta la vie religieuse, coupa ses cheveux et partie vivre incognito sous l’apparence d’un homme.

Après quelques années d’errance, mais toujours animée par une foi profonde et un désir irrépressible d’aider son prochain, elle s’enrôla au séminaire de Spi, en tant qu’homme, dans un parcours la menant à la prêtrise, sans pour autant dévoiler son genre. Son prénom neutre et sa poitrine plate l’aidèrent heureusement à maintenir son secret.

Sasha eut une brillante carrière dans les ordres, marquée par une grande sagesse et sa capacité à amener les gens à s’impliquer et se préoccuper d’autrui. El 1961, âgé de 60 ans, Sasha fut nommé archevêque de Nitra, puis, quelques années plus tard, devint Cardinal de Slovaquie. Apprécié pour ses valeurs de tolérance, pour sa foi, son implication et sa capacité à faire revivre les valeurs propres au catholicisme, son nom circulait déjà depuis un certain temps, comme candidat susceptible d’être élu Pape.

Le 9 août 1980, la fumée blanche le confirma dans son nouveau rôle par une majorité écrasante. Quand on lui demanda de se choisir un nom, il considéra que le sien, neutre, était tout à fait approprié.

12 année plus tard, le 24 septembre 1992, âgée de 91 ans, à la surprise générale et à la consternation de l’Église, Sasha 1er dévoila publiquement son genre de naissance et formalisa légalement le changement, quelques mois à peine, avant que la Tchécoslovaquie ne mette fin à cette union de deux États qui avait été si mal consommée.

Cousine Routine

Publié: 25 novembre, 2023 dans Écriture, humour, Société
Tags:,

En s’inspirant d’une courte phrase de l’atelier d’écriture d’Entre2Lettres, laisser libre court à son imagination.

La phrase de départ est la suivante:

S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine

– Il nous faut un nouveau super-héros!

Kenneth Bridge, Président de Marvel Studio, venait ainsi d’introduire de façon directe, comme à son habitude, la réunion de fin d’année avec l’ensemble de la Direction Artistique.

– Les chiffres ne mentent pas. Notre part de marché est en déclin chez les 10-34 ans, qui sont, je vous le rappelle, notre clientèle principale. La population vieillit et du coup, notre part de marché également. Nos clients se lassent de plus en plus rapidement de nos super-héros qui ne se démarquent pas suffisamment. Bref, il nous faut un nouveau super-héros et un bon. J’écoute vos propositions. Jeff, à toi!

Jeff Stelbrook, en charge de la création des personnages se senti un peu coincé. Ses collaborateurs ne l’avaient pas préparé à répondre à ce genre de question directe et son adjointe qui aurait pu l’aider à se sortir de cette désagréable situation était en retard. Il ressortit donc sa cassette habituelle…

– Nos excellents créateurs sont à l’œuvre, Kenneth et nous prévoyons présenter une panoplie de nouveaux super-héros, dès le prochain trimestre. Je suis confiant qu’on arrive à renverser la tendance et créer un buzz incroyable.

– Trop peu, trop tard, Jeff, désolé. Samantha, ton avis?

Samantha Goodman, Vice-Présidente au contenu cinématographique, pris la parole.

– Haheummm…Je voudrais d’abord vous présenter nos derniers résultats, suite au lancement de la série Avenger sur les plateformes de Streaming. Vous allez comprendre qu’il s’est passé un changement significatif au cours de la dernière année et….

La porte s’ouvre soudainement et Julia, lunette sur le bout du nez et les bras plein de dossiers franchit la porte et toutes les têtes se tournèrent vers elle.

– Heu…désolée pour mon retard, j’ai été retardée par des problèmes, heu, personnels et mon Uber a eu une crevaison en route.

Julia Beaudoin, adjointe principale de Jeff Stelbrook, était en charge de coordonner le travail des créateurs, pendant que son patron courait les conférences, les restos et le bon vin.

– Encore en retard, Julia. C’est une très mauvaise habitude. Il va falloir vous y mettre et rapidement. Je ne tolérerais plus ces écarts.

– Oui, désolée encore, vous avez raison. Répondit Julia en posant ses dossiers sur la table. D’ailleurs, j’espérais pouvoir vous présenter aujourd’hui quelque chose qui pourrait vous intéresser.

– Julia, retorque le Président, aujourd’hui, ce que je veux, c’est un nouveau Super-Héros. Rien d’autre!

– Oui, oui, bien sûr et heu, oui, en fait, ça tombe vraiment bien, parce que c’est ce dont je voulais vous parler.

– Ah? Je vous écoute!

– Oui et bien voilà…Je suis toujours en retard, vous le savez. Mon équipe le sait, bref tout le monde le sait et j’ai beau essayer tous les trucs et méthodes possibles, je n’y arrive pas. On rigole dans mon dos à cause de cela. La semaine dernière, Louis, un de nos créateurs est venu me consoler, en me disant que l’on avait tous une mauvaise habitude dont on n’arrivait pas à se défaire. Pour moi, c’est d’être à l’heure, pour d’autres, c’est la cigarette, l’alcool, le jeu, la sédentarité, la malbouffe, pour les serial killer c’est tuer les gens, etc…Bref, il m’a dit que ça l’avait inspiré à créer un nouveau personnage, complètement hors champs par rapport à nos personnages habituels, mais un personnage qui aurait le potentiel d’aller chercher une plus large clientèle, bref, pratiquement tout le monde.

– Continuez, vous m’intéressez.

– Oui, je continue. On dit qu’il faut persister trois semaines pour adopter un nouveau comportement et que par la suite, ça devient un acquis au point tel, où, pour le cerveau ça devient plus facile de continuer que d’arrêter. Un peu comme la loi de l’inertie. Un mouvement est difficile à mettre en route, mais une fois que c’est parti, ça demande plus d’énergie pour l’arrêter. Donc, notre super-héros, aurait des super-oreilles pour entendre toutes les demandes sur la planète et se téléporterait instantanément pour venir aider, coacher la personne en difficulté en lui proposant un plan pour remédier à sa mauvaise habitude, mais aussi l’accompagner pendant trois semaines pour que ça devienne un acquis. On en ferait un show genre télé-réalité, mais basé sur des cas biens réels. Je sais que c’est complètement hors-champs, par rapport à nos super-héros habituels, mais moi, si j’avais accès à un tel super-héros, je pense que ça me permettrait de conserver mon emploi chez Marvel et c’est un super-héros que j’adorerais rencontrer. Les parents pourraient même en faire un personnage comme la fée des dents et raconter ainsi de belles histoires à leurs enfants au moment du dodo, tout en leur donnant des outils qui leur seront utiles toute leur vie d’enfant et d’adulte.

– Hummmm…Intéressant. Comment s’appellerait ce personnage et à quoi ressemblerait-il?

– Ce serait un personnage sympathique, une dame souriante d’une cinquantaine d’années, mais avec un costume de super-héros super-cool tout en vert signe d’espoir et avec un gros R signifiant l’importance d’adopter une routine, soit pour acquérir une bonne habitude, soit pour se défaire d’une mauvaise.

On l’appellerait Cousine Routine!

Le poteau rose

Publié: 11 novembre, 2023 dans Écriture, Réflexions, Société
Tags:,

En s’inspirant d’une courte phrase de l’atelier d’écriture d’Entre2Lettres, laisser libre court à son imagination.

La phrase de départ est la suivante: « Vous venez de découvrir le poteau rose« 

– Les tests démontrent que votre fils Julien souffre de dyschromatopsie, madame. Ce n’est rien de très grave, mais cela signifie qu’il ne distingue pas très bien certaines couleurs.

– Docteur, svp, mon enfant préfère qu’on l’appelle Julie et qu’on s’adresse à elle au féminin.

Ah bon, d’accord. Alors, heu, votre fille Julie souffre de dyschromatopsie. C’est une condition héréditaire qu’on voit curieusement de plus en plus fréquemment depuis une dizaine d’années. La forme de dyschromatopsie la plus connue est bien sûr le daltonisme qui touche principalement les teintes de vert et de rouge, mais Julien, heu, je veux dire Julie est atteinte d’une forme différente qui lui fait confondre le bleu et le rose. Pour elle, rose ou bleu ne font aucune différence.

– Ahh, je comprend maintenant…Vous savez docteur, quand Julie a commencé à affirmer son identité de genre, j’ai voulu l’aider en lui présentant des vêtements roses, mais elle se rebuffait systématiquement, me disant que c’était du pareil au même. Au fond, elle ne voyait juste pas la différence.

– C’est bien ça. Il existe maintenant des verres correcteurs qui permettent de palier à cette déficience. Si vous voulez, nous pouvons passer à la salle d’examen où Julie pourra en faire l’expérience.

Tous les trois se dirigèrent dans une salle où différents poteaux de couleurs vives étaient appuyés sur un mur blanc avec leur couleur inscrite au-dessus de chacun. À trois mètres de distance un petit banc était destiné au patient.

– Assoyez-vous ici Julie et dites-moi si vous vous voyez une différence entre le troisième et le quatrième poteau.

– Non, ils sont tous les deux de couleur identique, répondit Julie.

– D’accord, maintenant, mettez cette paire de lunette et refaite l’exercice.

– Ahhhh, Ohhhh, Wow. Le poteau rose est tout simplement magnifique. J’adore cette teinte.

Super-Pouvoirs

Publié: 4 mars, 2023 dans Écriture, Société
Tags:,

Pour l’atelier d’écriture d’Alexandra K, en s’inspirant d’une photo de Fred Hedin, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

© Fred Hedin

— Fermez les yeux. Imaginez-vous maintenant dans un endroit paisible, réconfortant, sécuritaire. Visualisez le décor chaleureux et agréable autour de vous. Prenez votre temps, vous avez touuuuut votre temps. Ressentez cette paix intérieure qui s’installe en vous, l’absence de tension, la circulation fluide du sang chaud qui se propage doucement dans vos membres légèrement engourdis. Vous êtes commmmmplètement détendues. Prenez conscience de votre cœur qui bat lennnnntement, régulièrement, au ralenti. Écoutez votre respiration lente et profonde. Sentez vos pieds en contact avec le sol, ressentez cette énergie qui circule librement à travers vous, qui va et vient et qui vous connecte à l’univers. Vous êtes à votre place, là maintenant, là où vous devez être, vous êtes bien, en parfait contrôle. Vous êtes en totale harmonie avec tout ce qui vous entoure. Savourez cet instant, abandonnez-vous à ce merveilleux moment, hors du temps.

Juliette était maintenant dans un état second, confortablement assise dans son fauteuil, les mains posées mollement sur ses cuisses, la tête légèrement inclinée. Le Dr. Wilfritch, installé devant elle, dirigeait cette session d’hypnose hebdomadaire comme il le faisait maintenant depuis six semaines. Depuis l’agression.

Victime d’une attaque gratuite qui s’était déroulée à quelques pas de chez elle, juste devant la boutique de chapeaux, Juliette arrivait difficilement à trouver le sommeil depuis. Elle vivait constamment dans un état d’hyper-vigilance et même la nuit, au moindre bruit, au moindre craquement, elle ouvrait instantanément les yeux, le coeur battant la chamade, craignant qu’un intrus ne se soit introduit chez elle et ne veuille l’agresser. Encore. Les portes étaient pourtant verrouillées à double-tour, les fenêtres également. Les rideaux étaient tirés en permanence pour ne laisser personne soupçonner qu’elle vivait seule chez elle. Malgré tout, cette peur ne la quittait pas, comme les séquelles d’un choc post-traumatique. Seules ces séances d’hypnose lui donnaient un instant de répit, où elle pouvait retrouver la quiétude qui l’habitait autrefois. Ça lui paraissait si loin maintenant.

— De votre main gauche, vous allez maintenant appuyer doucement sur le muscle situé entre l’index et le pouce de votre main droite. Voilà, comme ça. À chaque fois que vous appuierez à cet endroit précis plus de 2 secondes, vous vous retrouverez instantanément dans cet état de calme où vous vous trouvez maintenant, en parfait contrôle de vos émotions. Le temps se déroulera alors plus lentement pour vous, à un rythme où vous aurez tout le temps voulu pour évaluer calmement la situation et déterminer l’action à prendre, le meilleur geste à poser à ce moment précis, celui qui vous sera le plus profitable. Voilà, vous pouvez relâcher votre main. Juliette, vous allez maintenant ouvrir les yeux et vous sentir parfaitement reposée et prête à affronter n’importe quel défi, parce que vous en êtes pleinement capable.

Juliette ouvrit les yeux et pour la première fois depuis l’agression, ressentit une nouvelle force en elle, comme une confiance inébranlable en ses moyens.

— J’ai installé ce qu’on appelle un ancrage dans votre subconscient, lui dit le Dr. Wilfritch. J’ai senti que vous étiez prête à le recevoir et à l’utiliser à bon escient. Voyez-le un peu comme un super-pouvoir que vous pourrez maintenant utiliser en toutes circonstances. Compte tenu de votre grande réceptivité, je ne crois pas qu’on doive se revoir pour une autre séance, mais j’aimerais que vous en faisiez l’expérience au cours des prochains jours et que vous m’en fassiez part. Donc, à moins d’avis contraire, aujourd’hui sera notre dernière session. Vous pourrez régler la note avec ma secrétaire à la réception. Je vous souhaite de retrouver votre quiétude d’antan Juliette.

— Ah, merci, tellement merci Docteur. Grâce à vous, je me sens renaître et même en mieux avec ces outils que vous m’avez donnés.

— Tout était déjà en vous Juliette. Dites vous que des tas de gens vivent quotidiennement dans la peur, la peur qu’un événement malheureux ne survienne et ne vienne bousculer leur quotidien. Ils dépensent d’énorme quantité énergie à imaginer toutes sortes de scénarios plus apocalyptiques les uns que les autres et à chercher à l’avance des façons d’y faire face, alors qu’on a tous en nous les ressources et une force vitale qui nous permet d’affronter ces défis quotidiens. Il suffit d’avoir confiance en ses capacités. Il suffit d’en être convaincu et le mécanisme se met en place. Cet ancrage que je vous ai implanté aujourd’hui permet ainsi d’ouvrir un passage vers votre subconscient qui ne sera plus brouillé par les filtres sociaux ou les réflexes hérités de situations émotives antérieures qui viennent quotidiennement teinter nos comportements. Faites en bon usage. Au revoir Juliette.

Juliette quitta donc le cabinet du Dr. Wilfritch, sourire aux lèvres, avec une confiance nouvelle et la ferme intention de retrouver son agresseur et lui faire la peau.

Avoir su

Publié: 11 février, 2023 dans Écriture, psychologie, Société
Tags:,

Pour l’atelier d’écriture de Leiloona. En s’inspirant d’une photo de Fred Hedin, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

© Fred Hedin

– C’est ici que tout a commencé pour lui, dit le professeur, vous le verrez dans les prochaines minutes. Comme je vous disais dans le cours d’hier, tous les comportements excessifs ont un événement fondateur qu’on appelle le point de bascule. Plus l’événement est marquant pour l’égo, plus l’individu aura par la suite une énergie compensatoire amenant un changement profond de sa personnalité. Déplacez-vous à l’intérieur du Bistro à 19h58 et vous comprendrez.

Les élèves réglèrent leur Chrono-viaticum tel qu’indiqué par leur professeur et se retrouvèrent à l’intérieur à l’heure indiquée. Le bistro était bondé. Les conversations s’empilaient les unes sur les autres sans qu’on distingue clairement un dialogue, des mots lancés au hasard comme des flocons tourbillonnant en tous sens lors d’une tempête. Un jeune homme, 17 ans à peine portait un lourd cabaret contenant deux pichets de bière et 6 bocks embués par le froid. Alors qu’il se déplaçait difficilement entre les banquettes, un grand roux, fin trentaine, qui semblait déjà passablement éméché donna du coude à son compagnon en lui murmurant un truc et tendit la jambe dans l’allée, juste au moment où passait le jeune homme.

– Regardez bien la suite, dit le professeur, c’est là que tout se joue.

Le jeune homme trébucha et s’étala de tout son long, renversa son cabaret en éclaboussant plusieurs clients qui se retournèrent, à la fois surpris et choqués de voir leurs vêtements souillés. À la banquette du grand roux, on rigolait devant le spectacle en se cachant la bouche. Les voix se turent soudainement et les regards se retournèrent, chacun voulant comprendre d’où venait ce bruit de chute. Les voix reprirent ensuite progressivement en force, chacun commentant l’incident selon sa propre interprétation. Le jeune homme se releva. Sa main était ensanglantée, coupée par l’un des bocks qui s’était fracassé en tombant au sol. Déstabilisé, confus, il mit quelques minutes à retrouver ses esprits et s’excusant sans oser lever le regard, il mit un genou à terre et ramassa le verre brisé pour les déposer dans son cabaret, tandis que le sang continuait de couler sur sa manche. Ouvrant la porte des cuisines avec force, le patron arriva en trombe, s’excusant au passage auprès de la clientèle, et ordonnant fermement au jeune homme d’aller immédiatement derrière aux cuisines, qu’il s’occuperait de tout. Il tenta de rassurer les clients, disant haut et fort que tout était sous contrôle, que l’incident était clos et qu’il pouvait maintenant reprendre leurs festivités. Il assumait la responsabilité de l’incident, reconnaissait ouvertement que son jeune serveur avait peu d’expérience et il offrit la consommation gratuite à ceux qui avaient été éclaboussés. Certains clients applaudirent avec cynisme et reprirent peu à peu leurs conversations. On fit venir un autre serveur avec une serpillère et des chiffons pour réparer les dégâts. Quand l’atmosphère se calma, le patron retourna derrière en s’essuyant les mains sur son tablier.

– Déplacez-vous maintenant à la cuisine, dit le professeur.

Maintenant rouge d’un mélange de colère et de honte, le patron du bistrot agrippa le jeune homme, dont la main était enrubannée d’un chiffon.

– Mais qu’est-ce qui t’a pris, bon Dieu. Tu pouvais pas regarder où tu marches. Est-ce que tu réalises l’impact d’un tel incident sur mon bistrot? En plus du matériel que tu as brisé par ton incompétence, certains clients auraient pu être blessés sérieusement. J’aurais dû suivre mon intuition quand tu es venu me voir pour le job. Tu n’es vraiment pas fait pour ce travail, désolé. Rentres chez toi et ne remet plus les pieds ici.

– Mais…c’était un accident. Il y avait tellement de gens dans l’allée, ce n’était pas facile de circuler.

– Voilà, exactement pourquoi je dis que tu n’es pas fait pour ce travail. Allez, ouste, dégage!

Penaud, le jeune homme pris son manteau et sorti par la porte arrière.

– Alors, vous en pensez quoi, demanda le professeur?

– C’est vraiment injuste, dit une jeune fille. Ce n’était pas sa faute. Nous, n’aurait-on pas pu intervenir?

– Non, impossible, dit le professeur. Rappelez-vous, nous ne sommes pas là. On assiste simplement à une scène qui s’est déroulée il y a maintenant quarante-trois ans. On ne peut refaire le passé. Heureusement d’ailleurs, parce que le présent serait bien trop incertain.

– Qu’est-ce qui arrive au jeune homme par la suite?

– Ah voilà la vraie question. Ce jeune homme, c’est Émile Lampron, le tueur en série des années 80′ qu’on surnommait le « tueur au bock », parce qu’après avoir tué ses victimes, il laissait un bock à proximité du cadavre. Il a ainsi tué plus de 18 personnes avant d’être rattrapé par la justice. Ses crimes ont débuté 8 mois après l’incident auquel vous venez d’assister. Les psychiatres s’entendent maintenant pour dire que c’est ce soir-là que Lampron a franchit le point de bascule, animé par un fort sentiment d’injustice. 18 personnes sont décédées par sa main, des familles entières ont été marquées et chez certaines d’entre elles dont nous discuterons au prochain cours, il y a eu d’autres événements fondateur. Des questions?

– Qu’est-ce qui aurait fallu faire pour éviter tout ce drame et ses conséquences, demanda la jeune fille?

– De l’empathie, davantage de bienveillance, éviter de juger trop rapidement, voilà ce que je souhaite que vous reteniez de ce cours aujourd’hui. Mettez-le en pratique dans vos vies personnelles. Vous ne saurez pas toujours la différence que vous aurez faite, mais je vous assure que le monde s’en portera mieux. Bon, d’accord. Allez, on se revoit demain les enfants.

Pensée du jour

Pensée du jour

Pensée du 11 octobre

Publié: 11 octobre, 2018 dans Pensée du jour, psychologie, Société

Pensée du jour